Joe Biden s’attaque frontalement à la Cour suprême
Joe Biden propose de mettre fin à l’immunité présidentielle, limiter les mandats des juges de la Cour suprême et d'instaurer un code de conduite.

« [C]ela fait près de 75 ans que les mandats présidentiels sont limités. Nous devrions faire de même pour les juges de la Cour suprême. » Le président des États-Unis a décidé de ne pas y aller par quatre chemins : dans une tribune publiée dans le Washington Post puis lors d’une allocution à Austin (Texas), le démocrate a annoncé un programme ambitieux pour réformer la plus haute cour du pays.
Outre les considérations politiques évidentes qui animent Joe Biden, l’annonce met la vénérable institution au cœur de la campagne : préoccupation majeure des démocrates, la Cour suprême est régulièrement visée par les critiques qui lui reprochent le caractère éminemment partisan de ses décisions. Grevée par une cote de popularité en berne, engager un vaste projet de réforme de la Cour suprême nécessitera une majorité politique claire. Miser sur l’impopularité de l’institution en promettant de la réformer permet au Parti démocrate de mobiliser sa base en vue d’obtenir en novembre, en plus de la présidence, une large majorité au sein des deux chambres qui composent le Congrès.
L’immunité, préoccupation majeure pour Joe Biden
Le 1er juillet, la Cour suprême des États-Unis a rendu un arrêt pour le moins étonnant, consacrant une immunité présidentielle. Signe d’éclaircie pour Donald Trump, la décision affirme en effet que les actes du président, lorsqu’ils sont pris en vertu de ses pouvoirs constitutionnels propres, jouissent d’une immunité (les autres actes officiels, quant à eux, font l’objet d’une présomption d’immunité). Une conclusion qui n’est du goût de Joe Biden, qui y voit un danger pour l’avenir de la démocratie étatsunienne et pour le principe selon lequel personne n’est au-dessus de la loi. Ce dernier a par conséquent choisi l’opposition frontale, demandant un amendement constitutionnel intitulé No One Is Above The Law Amendment (l’amendement « Personne n'est au-dessus de la loi »). Pour le président démocrate, qui fait écho aux propos de la juge Sonia Sotomayor, les États-Unis sont « une nation de lois, pas de rois ou de dictateurs ».
L’ambition du chef d’État pourrait n’être cependant que de courte durée : sans entrer dans les détails des « conventions constitutionnelles », l’adoption d’un amendement nécessite les deux-tiers des voix de chaque chambre. Enfin, l’amendement devra ensuite être ratifié par les trois-quarts des États, soit au moins 38 des 50 États. Une gageure, a fortiori dans un pays désormais extrêmement polarisé.
Dans le même temps, les sénateurs démocrates ont récemment annoncé l’introduction du No Kings Act, une proposition de loi qui est, selon toute vraisemblance, entachée d’inconstitutionnalité.
Le “No Kings Act”, une atteinte à l’État de droit ? | The Washington Herald
La fin du « mandat à vie » des juges
Au début de son mandat, le 46e président avait réuni une commission chargée d’étudier des pistes de réformes, parmi lesquelles figurait déjà l’une des mesures phares annoncées par l’actuel occupant de la Maison-Blanche : un mandat fixe pour les juges de la Cour suprême. Arguant que le président des États-Unis est déjà soumis à un tel régime – il est, en effet, désormais limité à deux mandats et ce dernier le 22e amendement, ratifié en 1951, Joe Biden entend mettre un terme à une particularité qui permet aux juges de la Cour suprême de jouir d’une influence considérable durant plusieurs décennies. La solution implique ainsi de hâter le remplacement des juges qui la composent : écourter leur carrière en instaurant un mandat fixe pourrait en effet permettre un renouvellement des juges qui ne soit pas subordonné à leur démission ou à leur décès.
Bien qu’il n’en dise mot, il est extrêmement probable que l’instauration d’un mandat de 18 ans nécessite, là encore, une modification de la Constitution. Si le sujet demeure débattu par les constitutionnalistes, la clause dite de « bonne conduite » (good behavior) implique, jusqu’ici, un siège à vie pour les juges fédéraux. C’est par ailleurs l’interprétation qu’en donne Alexander Hamilton dans le 79e essai des Papiers Fédéralistes : « [L]es juges […] s’ils se comportent correctement, seront maintenus à leur place à vie ». Une caractéristique qui n’est certainement pas dû au hasard, Hamilton ayant, dans le numéro qui précède, souligné que la clause de bonne conduite était un moyen de préserver l’indépendance de la justice en la soustrayant aux « empiètements et oppressions du corps représentatif ». Cette isolation du pouvoir judiciaire pourrait par ailleurs complexifier l’ultime tâche que se fixe le président dans sa volonté de réformer la plus haute juridiction des États-Unis : faire appliquer un code de conduite.
La difficile régulation du comportement des juges
Récemment ébranlée par plusieurs scandales – qu’il s’agisse des nombreux cadeaux reçus par le juge Clarence Thomas, de son refus de se déporter dans certaines affaires ou de la polémique du drapeau inversé au domicile du juge Samuel Alito –, l’institution peine à se conformer aux règles qu’elle édicte elle-même.
Face à ce constat, le président Biden entend mettre en œuvre un code de conduite applicable. Or, ce n’est pas la première fois que ce sujet est mis sur la table. L’idée avait été vertement conspuée l’an dernier par le juge Samuel Alito. Le magistrat avait alors soutenu qu’« [a]ucune disposition de la Constitution ne donne autorité au Congrès pour réguler la Cour suprême ». Vivement raillée, l’opinion du juge n’est pourtant pas dénuée de fondement : le Congressional Research Service soulignait dans une récente note que « les auteurs de la Constitution ont délibérément soustrait le pouvoir judiciaire fédéral au contrôle politique. » Une conclusion qui rejoint celle d’Alexander Hamilton, pour qui la destitution (impeachment) représente la « seule disposition […] qui soit compatible avec l’indépendance nécessaire du caractère judiciaire ».
Figure de l’aile « progressiste » de la Cour, la juge Elena Kagan a évoqué la possibilité, pour les juges des cours inférieures, de se prononcer sur d’éventuelles violations du code de conduite par les juges de la Cour suprême. Une hérésie, pour la droite américaine, pour qui cette idée, comme celles du président Biden, traduisent la volonté de vouloir nuire à une institution que les démocrates ne sont pas en mesure de contrôler. Ancienne assistante (law clerk) du très conservateur juge Thomas, Carrie Severino, qui dirige le Concord Fund/Judicial Crisis Network (JCN), dénonce sur Xune « guerre faite à la séparation des pouvoirs ». L’improbabilité pour les démocrates de mener à bien de telles réformes plaide toutefois davantage pour le calcul politique que pour la volonté de mettre à mal le principe de séparation des pouvoirs.
Capitaliser sur l’impopularité de la Cour suprême
Avortement, armes, agences fédérales, droit de vote… Les dernières années ont vu la Cour suprême faire une embardée « à droite », un glissement qui s’est accompagné d’un étiolement notable de sa cote de popularité, désormais bien en-dessous des 50 %. Minée par des décisions très impopulaires et par de récents scandales, la Cour est devenue, côté démocrate, un singulier objet de détestation.
Le Parti démocrate et Kamala Harris l’ont bien à l’esprit. Pour la candidate présumée à l’élection présidentielle, comme pour Joe Biden, une loi fédérale restaurant les principes de l’arrêt historique sur l’avortement Roe v. Wade fait partie des priorités majeures. Dès lors, capitaliser davantage sur l’impopularité de la Cour suprême apparaît comme une stratégie gagnante : évitant soigneusement d’aborder le sujet délicat du « court-packing » (c’est-à-dire, ajouter des sièges à la Cour), Biden met en avant des propositions qui, si elles demeurent bien sûr sujettes à débats, demeurent raisonnables. Il faudra néanmoins au Parti démocrate une très large majorité pour envisager de pouvoir les mettre en œuvre : ce projet de réforme peut galvaniser l’électorat en ce sens.