Le "No Kings Act", une atteinte à l'État de droit ?
En voulant passer outre la décision de la Cour suprême dans Trump v. United States, les démocrates jouent un jeu dangereux.

La question de l’immunité présidentielle continue d’agiter les débats. Très commentée, la décision de la Cour suprême dans l’affaire Trump v. United States a suscité autant de critiques que de doutes, y compris parmi les originalistes, troublés par un raisonnement qui ne laisse que peu de place au texte.
Sur la scène politique, les démocrates ont rapidement repris le ton acrimonieux de l'opinion dissidente de la juge Sonia Sotomayor. Convaincus que les États-Unis ne doivent pas avoir un monarque à leur tête, plus de trente sénateurs, menés par Chuck Schumer, ont présenté le « No Kings Act ». Cette législation ambitieuse est souvent simplifiée à tort comme une simple suppression de la compétence d’appel de la Cour suprême, une mesure conforme à l'article III, section 2 de la Constitution. Cependant, le texte va beaucoup plus loin : son objectif principal est de contourner la décision contestée de la Cour, ce qui semble constituer une violation manifeste de l'État de droit et devrait, à ce titre, nourrir les discussions de tous ceux qui tiennent au principe de la séparation des pouvoirs.
Une manœuvre législative douteuse
Au-delà de son titre délibérément provocateur, le "No Kings Act" surprend par l' étonnante absence de critiques à son encontre. Bien qu'il s'agisse d'un texte législatif très bref, le projet de loi est souvent réduit à son seul article 4, qui prévoit la simple élimination de la compétence d'appel de la Cour suprême pour les affaires. Cependant, la première disposition contredit directement les conclusions de la Cour suprême : elle affirme que le président des États-Unis ne bénéficie d'aucune immunité. Cela peut sembler anodin, car la deuxième disposition est bien plus préoccupante puisqu’interdisant aux tribunaux de déterminer si un acte présidentiel contesté est de nature officielle ou privée.
C'est là que le texte soutenu par le Parti démocrate est particulièrement stupéfiant : en dépouillant la Cour suprême de son rôle de cour de dernier ressort et en instruisant les tribunaux inférieurs de ne pas faire la distinction qui permettrait à un président de bénéficier de l'immunité reconnue dans l'affaire Trump v. United States, le No Kings Act entre en conflit direct avec cette décision. En conséquence, le texte introduit par le sénateur démocrate Chuck Schumer semble inconstitutionnel. En effet, l'intention de cette proposition de loi fait écho aux conclusions de la Cour suprême dans l'affaire United States v. Klein de 1871, dans laquelle le Chief Justice Salmon P. Chase a affirmé que « le Congrès a, par inadvertance, dépassé la limite qui sépare le pouvoir législatif du pouvoir judiciaire. » Plus récemment, dans l'affaire Plaut v. Spendthrift Farm, le juge Scalia s’est appuyé sur les propos de Thomas Cooley, l'un des juristes les plus influents du XIXe siècle : « Si le législateur ne peut ainsi contrôler indirectement l'action des tribunaux, en leur imposant une interprétation de la loi conforme à ses propres vues, il est très clair qu'il ne peut le faire directement, en annulant leurs jugements, en les contraignant à accorder de nouveaux procès, en ordonnant la libération de délinquants, ou en déterminant les étapes particulières à suivre dans le déroulement d'une enquête judiciaire. » Les conclusions de ce juge conservateur décédé en 2016 pourraient parfaitement s’appliquer s’agissant du No Kings Act. En effet, de la même manière que James Madison, l’un des « Pères Fondateurs », dénonçait jadis une « législature [qui] dans de nombreux cas a décidé de droits qui auraient dû être laissés à la controverse judiciaire », le juge Antonin Scalia souligne quant à lui que « [l]a violation de la séparation des pouvoirs ici, s'il y en a une consiste à priver les jugements judiciaires de l'effet concluant qu'ils avaient au moment où ils ont été prononcés. » Comment qualifier autrement un texte destiné à priver d’effets une décision de la plus haute juridiction des États-Unis ?
L’amendement à la Constitution pour seule réponse
Il est évident que le Parti démocrate est en désaccord avec la Cour suprême. Outré par une série de décisions contestables et totalement en contradiction avec son agenda politique, le parti de Joe Biden et de Kamala Harris cherche désespérément à reprendre le contrôle. Disons-le : il y a toutes les différences du monde entre adopter une loi présumée inconstitutionnelle destinée à provoquer un changement de jurisprudence et chercher à dicter l'issue des décisions judicaires. Dans le premier cas, cela reflète une approche dite « départementaliste » : les membres du Congrès affirment leur propre interprétation de la Constitution et peuvent ainsi adopter une loi qui contredit les conclusions judiciaires, incitant potentiellement le pouvoir judiciaire à reconsidérer sa position (« ils rejettent la proposition selon laquelle le raisonnement des avis de la Cour suprême lie les autres branches au profit de l'idée selon laquelle chaque branche doit interpréter la Constitution par elle-même », comme l’a expliqué la désormais juge Amy Coney Barrett, qui était alors professeure de droit, dans un article publié en 2016 et intitulé Congressional Originalism). Dans le second cas, il s'agit probablement d’une entorse à l'État de droit. Alors que le candidat Trump assume au grand jour ses velléités autoritaires, le Parti démocrate devrait se montrer particulièrement vigilant vis-à-vis du principe de séparation des pouvoirs : s’il y a bien un principe qui soutient l'existence de la république étatsunienne, c’est celui-ci.
La question de l’immunité présidentielle n’est pas le seul point de dissension entre les démocrates et la Cour suprême, loin s’en faut. Déterminé à instaurer des mandats à durée fixe pour les juges et à établir un code de conduite applicable, Joe Biden a récemment annoncé un plan ambitieux pour réformer une institution devenue impopulaire après une série de décisions hautement controversée sur des sujets tels que le droit à l’avortement ou le contrôle des armes. Il y a cependant une différence notable entre le plan proposé par le 46e président et celui des sénateurs démocrates. S’agissant de l’immunité présidentielle, le président Biden a, lui, évoqué un amendement à la Constitution. Il s’agit selon toute vraisemblance de l’unique solution véritablement respectueuse de l’État de droit pour contredire les conclusions des puissants juges de la Cour suprême.