Comme chaque année, la fin du mois de juin conjugue chaleurs estivales et décisions majeures de la plus haute juridiction des États-Unis. La fin de l’« OT 2024-2025 » n’échappe pas à la règle : les neuf juges nous ont offert une nuée d’arrêts, tous très commentés — et qui mériteraient tous un article dédié dans ces colonnes.
⚖️ Medina v. Planned Parenthood South Atlantic
Vous n’en avez peut-être pas entendu parler. Il faut dire que l’affaire Medina, si elle implique le planning familial — et donc la question de l’avortement —, ne concerne pas directement l’interruption volontaire de grossesse. La question de droit au cœur de cette affaire explique que le désintérêt des médias français pour cette affaire.
Revenons à la genèse de l’affaire. En 2018, le gouverneur de Caroline du Nord Henry McMaster signe un executive order interdisant à toute clinique pratiquant des avortements de participer au programme Medicaid de l'État (Medicaid étant le programme fédéral permettant la prise en charge partielle des soins de santé de personnes en situation de précarité financière). Néanmoins, ce sont les États qui administrent (et financent en partie) l’assurance Medicaid.
La question de la « qualification » de Planned Parenthood comme entité fournissant des services de planning familial est donc majeure et ce d’autant plus que la réglementation fédérale prévoit une liberté de choix (42 CFR § 431.51 - Free choice of providers). Ce n’est toutefois pas la question de cette question : en effet, il est question de savoir si cette liberté de choix de prestataire de santé/planning familial peut faire l’objet d’un recours en vertu de 42 U.S.C. § 1983 (recours civil pour privation de droit).
Pour la Cour suprême, la réponse est « non ». L’opinion majoritaire, signée par Justice Gorsuch, affirme que 42 U.S. Code § 1396a(a)(23)(A) ne crée pas, « de manière claire et sans ambiguïté », un droit individuel. Pour les juges, les précédents Gonzaga (2002) et Talevski (2023) plaident pour cette interprétation dans la mesure où la Cour, depuis 2002, s’attache à l’existence d’un “rights-creating language”. « Aucun des deux paragraphes n'utilise de termes clairs et non ambigus créant des droits, de sorte que ni l'un ni l'autre ne justifie une action privée au titre de l'article 1983 », note ainsi le juge Gorsuch.
⚖️ Mahmoud v. Taylor
Question : les écoles publiques entravent-elles la liberté religieuse lorsque les élèves ne peuvent être exemptés d’enseignements spécifiques ?
Au cœur de cette affaire, la lecture, en classe, des livres évoquant des sujets LGBT+ tels que “Uncle Bobby’s Wedding”. Défendus par la très conservatrice Alliance Defending Freedom, des parents croyants du Maryland avancent que cela est contraire au 1er amendement.
Dans un arrêt signé Justice Alito et rendu à 6-3, la Cour se range du côté des familles. Pour la majorité des juges, la mesure contestée enfreint la liberté religieuse des parents en ce qu’elle interfère de manière substantielle avec leur droit à éduquer leurs enfants dans le respect de leurs convictions religieuses. Rejetant l’argument selon lequel les livres n’impliquent qu’une « simple exposition à des idées controversées », la Cour considère a contrario que le contenu véhicule indubitablement un point de vue subjectif sur le mariage de personnes de même sexe et l’identité de genre.
⚖️ United States v. Skrmetti
Retour sur les faits, de manière extrêmement brève : en 2023, le Tennessee a décidé de bannir les soins de transition de genre pour les personnes mineures.
À la suite d’une injonction préliminaire prononcée en cour de district en raison d’une probable violation de la clause d’égale protection du 14e amendement, le 6e Circuit d’Appel est arrivé aux conclusions inverses.
Aparté : très brièvement, comment fonctionne cette “clause d’égale protection” ? La Cour a défini des « classifications suspectes » : race, religion, origine nationale et statut d’étranger. Quand une loi établit une distinction basée sur l’une de ces classifications, la Cour opère un contrôle juridictionnel strict. La loi devra donc répondre à un intérêt impérieux et constituer le moyen le moins restrictif pour être jugée conforme au 14e amendement. Pour le critère « sexe », c’est un contrôle intermédiaire qui s’opère : ici, la loi doit répondre à un intérêt important et les moyens employés doivent être substantiellement liés à la poursuite de cet intérêt. Dans cette affaire, les plaignants estiment que la loi opère une distinction basée sur le sexe.
La Cour, à travers une opinion 6-3 rendue par le Chief Justice John Roberts, rejette l’argument de la discrimination fondée sur le sexe, considérant que la loi s’applique à tous les mineurs sans égard à leur sexe. Alors que la dissidence soulève qu’un traitement de même nature peut être prescrit à un garçon et interdit à un garçon trans, la majorité fait remarquer que si le traitement est certes le même, la pathologie diffère. Pour la majorité, la loi interdit de soigner la dysphorie de genre, sans distinction de sexe. Ainsi, une jeune fille pourrait prendre de la testostérone pour traiter certaines pathologies… À l’exception d’une dysphorie de genre.
Cela permet par conséquent à la Cour de soumettre la loi contestée qu’à une rational basis review (contrôle juridictionnel le moins strict) et par conséquent de confirmer sa constitutionnalité en refusant tout simplement de substituer son appréciation à celle du législateur.
(Il est étonnant de constater que la Cour a louvoyé (maladroitement) sur la question du sexe sans jamais aborder la question du « sens public originel » de l’equal protection clause. Il eût été plus cohérent avec sa jurisprudence — c’est un peu ce que fait Justice Barrett dans son opinion concurrente — d’écarter l’argument selon lequel les personnes trans seraient une “suspect class”, de reconnaître néanmoins une discrimination fondée sur le sexe. Les dispositions contestées s’appliquant seulement aux personnes mineures, la retenue exercée par la Cour — à mon sens tant en raison du caractère politique de la question que du débat médical qui l’entoure — aurait permis d’aboutir au même résultat.)
⚖️ Free Speech Coalition v. Paxton
La fameuse affaire Pornhub. Toujours à 6-3, la Cour suprême, à travers une opinion signée Justice Thomas, confirmé la constitutionnalité de la loi texane qui conditionne l’accès à un site pornographique à un contrôle de l’âge des internautes.
Pour la majorité des juges, la mesure contestée ne relève que du contrôle intermédiaire dans la mesure où les adultes ne voient leur droit protégé par le 1er amendement entravé que de manière accessoire. Le strict scrutiny étant, quant à lui, « « le principe fondamental selon lequel les gouvernements n'ont pas le pouvoir de restreindre l'expression en raison de son message, de ses idées, de son sujet ou de son contenu. »
⚖️ Trump v. CASA
Sans aucun doute l’arrêt le plus discuté du moment. Dans une opinion rendue à 6-3 par Justice Barrett, la Cour suprême a mis fin à la pratique des universal injunctions, injonctions permettant à des cours fédérales d’empêcher le gouvernement d’appliquer une loi ou une règlementation.
L’arrêt est un exercice de statutory originalism dans la mesure où la juge Barrett s’emploie à démontrer que le Judiciary Act de 1789 n’a jamais prévu le recours à ces nationwide injunctions. Je reviendrai très vite vous parler de cet arrêt… ;-)