Trump, un président en prison ?
Probable candidat du Parti républicain, l’ex-président fait face à de multiples affaires passibles d’une peine de prison. Pourrait-il…
Probable candidat du Parti républicain, l’ex-président fait face à de multiples affaires passibles d’une peine de prison. Pourrait-il exercer sa présidence en étant derrière les barreaux ?
Désormais mis en examen dans trois affaires différentes — l’affaire des comptes de campagne, dite « Stormy Daniels », l’affaire des archives de la Maison-Blanche et l’affaire du 6-Janvier, le 45e président des États-Unis, probable candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle de 2024, fait actuellement face à de nombreux chefs d’accusation et risque de lourdes peines de prison. S’il est clair que rien n’empêche un détenu d’être candidat à la plus haute fonction politique des États-Unis — ce fut le cas, rappelons-le, du socialiste Eugene V. Debs en 1920 puis de Lyndon LaRouche en 1992, la question qui est sur toutes les lèvres est désormais celle de l’exercice du pouvoir. Le président des États-Unis peut-il exercer ses fonctions tout en étant détenu ?
Une situation singulière aux États-Unis
La situation dans laquelle Donald J. Trump se trouve apparaît comme étant pour le moins singulière : jamais dans l’histoire des États-Unis un ancien président n’avait fait face à une peine de prison tout en étant un candidat en mesure d’être élu. Parmi les deux candidats à l’élection présidentielle qui furent détenus, ni Eugene V. Debs ni Lyndon LaRouche n’avaient la moindre chance de l’emporter.
La Constitution des États-Unis ne répond pas clairement à cette question. Elle n’empêche nullement une personne incarcérée de se présenter à l’élection présidentielle tant qu’elle satisfait aux critères mentionnés expressément à l’Article II, Section 1, Clause 5. En revanche, elle ne dit rien sur l’éventualité où un président-élu serait sous les verrous. Ni le vénérable texte en vigueur depuis 1789 ni ses amendements ne fournissent la moindre réponse claire. Peut-être d’ailleurs serait-ce une erreur de lui en demander tant.
Un président en incapacité d’assumer ses fonctions
Dans un article publié sur le blog de la Harvard Law Review, le professeur adjoint Brandon Johnson souligne un fait qui paraît incontestable : un président incarcéré n’est pas en capacité d’assumer ses fonctions. Comme l’affirme l’universitaire, une prison n’est pas en mesure d’assurer le stockage sécurisé d’informations classifiées et l’exercice des devoirs inhérents à la fonction présidentielle, notamment le discours sur l’État de l’Union, ne saurait être accompli dans une telle configuration (à moins de revenir à un rapport adressé au Congrès, comme ce fut le cas avant la présidence de Woodrow Wilson).
En conséquence, le président-élu Donald J. Trump se retrouverait concrètement dans l’incapacité d’assumer ses fonctions. Prévue par l’Article II, Section 1, Clause 6 de la Constitution, l’« incapacité d’exercer les pouvoirs et de remplir les devoirs de sa charge » implique que ces derniers soient assumés par le vice-président ou la vice-présidente. La réponse demeure cependant loin d’être aussi triviale puisque la Constitution reste muette sur la détermination de cette incapacité. L’histoire, nous dit Brandon Johnson, démontre ainsi que les présidents Garfield et Wilson ont conservé leurs fonctions jusqu’au bout alors qu’ils n’étaient plus en état de les assumer.
En 1967, les États-Unis ont adopté le 25e amendement. Échaudés entre autres par le précédent Wilson et l’assassinat du président Kennedy, le pays s’est doté d’un mécanisme permettant de mettre en œuvre le remplacement du président en cas de décès, d’incapacité, de démission ou de destitution. Cependant, ce dernier pourrait ne pas suffire à faire face au caractère atypique du président Trump. En effet, le 25e amendement repose en grande partie sur le rôle du vice-président ou de la vice-présidente : son assentiment est primordial puisqu’il est nécessaire que le Congrès reçoive la déclaration écrite de la vice-présidence et des principaux départements exécutifs (ou d’un corps ad hoc constitué par le Congrès).
Acquise tout entière au culte du chef, comment imaginer la garde rapprochée de Donald Trump consentir à invoquer le 25e amendement, même en cas d’impérieuse nécessité ? Quant aux membres du Congrès appartenant au Parti républicain, là encore la majorité trumpiste n’accepterait jamais de voter en faveur de la destitution du « condamné en chef ». Dès lors, que faut-il en déduire ? Les Pères Fondateurs ont-ils échoué en ne prévoyant pas un tel cas de figure ? La Constitution des États-Unis trouve-t-elle ici ses limites ? Rien n’est moins sûr.
Une Constitution ne peut pas tout
L’élection de Donald Trump en 2024 plongerait les États-Unis dans l’inconnu le plus total si ce dernier venait à être condamné par un État fédéré à une peine de prison ferme — soulignons qu’une condamnation au niveau fédéral rendrait les choses beaucoup moins compliquées en raison de la possibilité d’être gracié au moyen d’un « jeu de chaises musicales ». Si ce saut dans l’inconnu est une certitude sur laquelle semble convenir les juristes — chez CNN, le professeur Richard Hasen parle d’une « question heureusement non testée » — nous aurions peut-être tort de parler de « limite » ou pire, d’une « crise constitutionnelle » à venir.
« Le corps politique est formé par une association volontaire d’individus ; c’est un pacte social par lequel le peuple tout entier s’engage avec chaque citoyen et chaque citoyen avec le peuple tout entier à ce que tous soient régis par certaines lois pour le bien commun » affirme le préambule de la Constitution du Massachusetts, qui a servi de modèle à la Constitution des États-Unis. Les États-Unis sont aujourd’hui moins en proie à une crise constitutionnelle qu’à une crise de leur représentation démocratique : il y a aujourd’hui une partie non négligeable de sa représentation élue dépourvue de toute probité et disposée à violer sciemment le serment qu’elle a prêté. Face à cela, aucune Constitution, quelle qu’elle soit, ne peut ni ne pourra pallier la défaillance d’une partie du corps social qui aurait décidé de se soustraire aux règles qui garantissent sa perpétuation.