Trump croule sous les plaintes visant à le faire disqualifier
Conséquence de l’article publié par deux professeurs de droit conservateurs, les plaintes visant à faire déclarer Trump inéligible se…
Conséquence de l’article publié par deux professeurs de droit conservateurs, les plaintes visant à faire déclarer Trump inéligible se multiplient… Mais n’ont que peu de chance d’aboutir.
Le 9 août dernier, les professeurs William Baude et Michael Stokes Paulsen — pourtant membres de la très conservatrice Federalist Society — ont jeté un pavé dans la mare en publiant un article affirmant que Donald Trump est d’ores et déjà inéligible en raison de son rôle dans les événements du 6 Janvier 2021 et qu’il revient désormais aux fonctionnaires d’États et fédéraux de refuser sa candidature. Cette lecture singulière de la Section 3 du 14e amendement, qui dispose que « [n]ul n’occupera aucune charge civile […] du gouvernement des États-Unis ou de l’un quelconque des États, qui après avoir prêté serment, […] de défendre la Constitution des États-Unis, aura pris part à une insurrection ou à une rébellion contre eux, ou donné aide ou secours à leurs ennemis » fait actuellement des émules : Trump fait face à de nombreuses plaintes visant à le faire disqualifier. Ces dernières n’ont cependant que très peu de chances d’aboutir.
Le raté de l’avocat Lawrence Caplan
Faute d’un secrétaire d’État enclin à refuser la candidature du 45e président des États-Unis, en Floride, un avocat du nom de Lawrence Caplan fut l’un des premiers à s’adresser à la justice afin que Donald Trump soit déclaré inéligible en vertu de la Section 3 du 14e amendement. La plainte dénotait par son aspect bâclé : outre les nombreuses fautes de frappe, le juriste avait omis un fait particulièrement important… Sa plainte initiale ne faisait mention d’aucun préjudice ! Or, l’existence d’un préjudice, réel ou imminent, est consubstantiel à l’existence d’un intérêt à agir. Amendée trois jours plus tard, Me Caplan a simplement ajouté un court paragraphe affirmant qu’il serait lésé si l’ex-président était autorisé à concourir aux primaires du Parti républicain.
Sans surprise, la juge fédérale Robin L. Rosenberg a relevé d’office la fin de non-recevoir pour absence d’intérêt à agir, rappelant que « un citoyen n’a pas d’intérêt à agir pour contester la qualification d’une autre personne pour exercer une fonction publique ». La juge nommée par le président Obama en 2014 revient ainsi sur le précédent Berg de 2008, affaire dans laquelle un avocat avait contesté la candidature de Barack Obama qui, selon lui, n’était pas né sur le territoire américain — une condition indispensable pour être candidat aux plus hautes fonctions de l’État fédéral. Dans une affaire similaire impliquant l’ancien sénateur John McCain — né à Coco Solo, canal de Panama — , une cour fédérale avait estimé que l’« [o]n peut supposer que ces électeurs sont habilités à répondre eux-mêmes à cette préoccupation en votant pour un autre candidat à la présidence, dont l’éligibilité est irréprochable. La présence d’un candidat prétendument inéligible sur le bulletin de vote ne semble pas porter atteinte à ce droit, quelle que soit la performance de ce candidat lors de l’élection. »
Cependant, la tentative vaine de Lawrence Caplan apparaît comme bien peu de chose face aux efforts déployés par un petit candidat à la primaire du Parti républicain : John Anthony Castro.
John Anthony Castro, le forcené
Juriste, John Anthony Castro est bien décidé à faire tomber Trump par tous les moyens : celui qui se présente comme un candidat à la primaire républicaine (dans l’impossibilité d’avoir son nom sur les bulletins de vote, il sera un « write-in candidate », c’est-à-dire que son électorat devra écrire son nom sur lesdits bulletins) a déposé par moins de onze recours dans 11 États différents pour que Trump soit déclaré inéligible en vertu du 14e amendement.
Cependant, M. Castro n’a pas plus de succès devant les tribunaux que M. Caplan. Face à la juge Aileen Cannon — nommée en Floride par Trump en 2020 et désormais connue pour avoir indûment accordé à l’ancien président la nomination d’un special master dans le cadre de l’affaire des documents classifiés retrouvés à Mar-a-Lago — , le candidat a essuyé lui aussi une fin de non-recevoir expédiée en deux pages : allant à l’essentiel, la magistrate a simplement affirmé que « parce que le plaignant n’a pas allégué de préjudice concret ou de maturité comme l’exige l’article III [de la Constitution], la Cour n’a pas besoin d’examiner le bien-fondé des arguments supplémentaires du défendeur. » Castro a par conséquent interjeté appel auprès de la Cour d’Appel pour le 11e Circuit et, dans la foulée, demandé à la Cour suprême des États-Unis de se saisir de l’affaire. Il lui faudra l’assentiment d’au moins quatre juges sur neuf pour que la Cour se saisisse du dossier.
En parallèle de cette guerre judiciaire menée par John Castro, d’autres organisations se mobilisent pour faire trébucher la candidature de Donald Trump. Free Speech for People, une organisation progressive, a lancé une campagne intitulée 14Point3 et pris contact avec les secrétaires d’État des 50 États afin de les inciter à refuser la candidature de l’ancien locataire de la Maison-Blanche. De son côté, le groupe Citizens for Responsibility and Ethics in Washington (CREW) a déposé un recours dans l’État du Colorado.
L’affaire du Colorado, un dossier solide ?
C’est l’affaire jugée la plus « solide » selon le professeur de droit constitutionnel Laurence Tribe. Dans l’État du Colorado, un recours en justice d’une longueur de 104 pages a été déposé auprès d’une cour locale vise à faire déclarer Trump inéligible par Jena Griswold, secrétaire d’État. Selon les plaignants, le droit électoral du Colorado les autorise à se pourvoir en justice lorsqu’une « personne chargée d’un devoir en vertu du présent code a commis ou est sur le point de commettre un manquement ou une négligence à son devoir ou tout autre acte répréhensible ». En l’occurrence, les plaignants affirment qu’enregistrer la candidature de Donald Trump est un manquement au devoir de la secrétaire d’État, laquelle devrait refuser ladite candidature compte tenu du comportement insurrectionnel du 45e président des États-Unis.
Si la stratégie judiciaire apparaît comme plutôt crédible, l’ancien président a, en vertu du droit fédéral (et surtout du caractère éminemment fédéral de la question, qui repose sur l’interprétation du 14e amendement), exigé que l’affaire soit jugée par une cour fédérale, ce qui a eu pour conséquence d’envoyer (temporairement…) l’affaire devant la cour fédérale de district pour le district du Colorado. Désormais renvoyée devant un tribunal de l’État du Colorado en raison d’une non-conformité à l’article 28 U.S.C. § 1446(b)(2)(A) (la secrétaire d’État Jena Griswold n’avait pas consenti au renvoi au fédéral), la solidité de l’affaire Anderson v. Griswold interroge : dans les colonnes du New York Times, les professeurs Derek Muller, Richard Collins et Jessica Levinson ont beaucoup plus de doute que Laurence Tribe. Pour les trois universitaires, la question de l’intérêt à agir demeure cruciale. En effet, le droit du Colorado dispose qu’une cour de district pourra rendre un jugement « exigeant le respect substantiel des dispositions du présent code ». La doctrine de l’« évitement constitutionnel » (constitutional avoidance) pourrait en conséquence inciter le tribunal à ne pas se prononcer sur le 14e amendement en affirmant simplement que le droit électoral du Colorado ne prévoit rien exigeant de la secrétaire d’État le retrait d’une candidature pour « insurrection ». Interrogé, Derek Muller juge cette hypothèse « tout à fait possible ». En outre, la « maturité » de l’affaire est aussi à prendre en considération : pour le professeur Muller, qui s’est exprimé dans une note publiée sur le Election Law Blog, le fait que Trump ne soit pas encore officiellement inscrit comme candidat peut inciter la cour à rejeter l’affaire.
La balle est dans le camp des secrétaires d’État
Selon toute vraisemblance, il sera difficile d’obtenir une décision de justice affirmant l’inéligibilité de Donald Trump au moyen de recours au civil. La balle apparaît comme étant plus que jamais le camp des secrétaires d’État, dont le refus se traduirait inévitablement par un recours du candidat, obligeant dès lors la justice à aborder à nouveau l’épineuse question de l’interprétation du 14e amendement. Pour l’heure, le républicain semble en bonne voie pour remporter l’investiture de son parti et être ainsi candidat à l’élection présidentielle… Et ce en dépit de ses nombreux déboires judiciaires.