Retour sur les enjeux
Il me paraissait nécessaire d’écrire un court article sur le référendum qui s’est tenu au Kansas : cette actualité a évidemment fait le tour du monde, puisqu’il s’agit du premier revers après la terrible décision de la Cour suprême fédérale dans l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la couverture française de ce sujet a été assez… Imaginative. Qu’est-ce que le Value Them Both ? Quel était son objectif ? Que dit la Constitution du Kansas ? Voyons cela rapidement.
Il n’y a pas de droit à l’IVG dans la Constitution du Kansas
Disons-le d’emblée : non, le droit à l’IVG ne figure pas dans la Constitution de l’État. Il est donc particulièrement incorrect de dire que le Value Them Both aurait « supprimé le texte garantissant le droit à l’IVG » (sincèrement, expliquez-moi, d’où sort cette fantaisie ?).
Le droit à l’IVG découle d’une interprétation jurisprudentielle de 2019. Cette année-là, la Cour suprême du Kansas rendait sa décision dans l’affaire Hodes & Nauser v. Derek Schmidt. Les juges ont considéré que la Section 1 de la Déclaration des droits de la Constitution du Kansas, qui dispose que « tous les Hommes possèdent des droits naturels égaux et inaliénables, parmi lesquels figurent la vie, la liberté et la recherche du bonheur », protège le droit d’une femme de décider de poursuivre ou non une grossesse.

Le droit à l’IVG n’aurait pas disparu tout de suite
Seconde interprétation inexacte : le Value Them Both aurait supprimé le droit à l’avortement. C’était bien sûr l’objectif à atteindre. L’amendement n’allait toutefois pas jusque-là et se limitait à deux points :
Affirmer que la Constitution ne protège ni n’interdit l’IVG
Affirmer que c’est au pouvoir législatif de décider de cette question
Il faut bien réaliser que le Value Them Both était en vérité un amendement plutôt « modéré », dans le sens où il aurait laissé la possibilité au pouvoir législatif de décider du sort de l’IVG (ce qui implique par conséquent la possibilité d’une législation particulièrement permissive !). Les « pro-life » ont habituellement pour objectif premier de faire reconnaître des droits aux « enfants à naître » de manière à rendre l’IVG constitutionnellement impermissible. Ce n’était pas le cas ici puisqu’il n’y a pas la moindre trace de la théorie de la personnalité fœtale (fetal personhood). Était-ce un premier pas destiné ensuite à aller dans le sens de la fetal personhood ? Fort possible.
L’État du Kansas, pour l’instant, dispose d’une gouverneure démocrate (Laura Kelly) et de deux chambres législatives dominées par le Parti républicain. Néanmoins, quand bien même l’amendement n’aurait pas mis fin immédiatement au droit à l’IVG, ce dernier aurait pu disparaître rapidement puisque le Grand Old Party dispose d’une large majorité à même d’outrepasser un veto de la gouverneure (ce qui nécessite un vote aux deux-tiers dans chaque chambre). Pour l’heure, rien ne changera, puisque cet amendement a été rejeté à une large majorité.