Pilule abortive : Texas contre New York
Le procureur général de Texas, Ken Paxton, a annoncé poursuivre une médecin de l'État de New York pour avoir prescrit des pilules abortives à un femme texane. Temps fort judiciaire de 2025 ?
Mi-décembre, le procureur général de Texas, Ken Paxton, a annoncé poursuivre une médecin de l’État de New York pour avoir prescrit des pilules abortive à une citoyenne texane, ouvrant la voie à un conflit judiciaire entre le Lone Star State, qui interdit l’avortement, et l’Empire State, qui a prévu de nombreuses dispositions législatives pour protéger ses citoyens qui aideraient à procurer des interruptions volontaires de grossesse.
Le différend opposant le Texas à cette professionnelle de santé pose de nombreuses questions : le Texas peut-il criminaliser la prescription de pilules abortives hors de ses frontières ? Si oui, New York peut-il efficacement protéger ses citoyens ? L’État de Greg Abbott peut-il passer outre la non-coopération de l’État de la côte est ?
Si l’affaire promet d’être l’un des grands feuilletons judiciaires de 2025 — a fortiori sous une administration Trump —, le récent article du professeur Darryl K. Brown (Université de Virginie) intitulé Extraterritorial State Criminal Law, Post-Dobbs permet d’y voir un peu plus clair. ⤵️
1. Oui, le Texas est compétent pour criminaliser la prescription de mifépristone/misoprostol.
Dans cet article publié au printemps 2024, le professeur Brown l’affirme formellement : l n'est pas rare pour un État d'exercer sa compétence pénale sur les personnes d'autres États dont le comportement a des effets sur le territoire de l'État. L’universitaire rappelle ainsi que « [l]a Louisiane a érigé en infraction le fait pour quiconque, en dehors de la Louisiane, d'expédier des « médicaments provoquant l'avortement » à une résidente de la Louisiane. « Rédigées de manière appropriée à la lumière des principes juridictionnels, ces lois sont des exercices valables du pouvoir d'un État d'affirmer l'application extraterritoriale de son droit pénal » souligne-t-il.
De même, un État peut poursuivre un de ses citoyens pour un acte commis en dehors des frontières de l'État. Darryl Brown évoque ainsi que « [l]a Floride pourrait criminaliser l'achat par un citoyen de Floride de médicaments ou de services d'avortement dans les eaux internationales au large des côtes de la Floride, ou peut-être au Mexique. » (voir Skiriotes v. Florida, 313 U.S. 69, 77 (1941))
Selon le professeur Brown, il existe trois situations où l'extraterritorialité peut s'appliquer :
1. Un comportement hors de l'État impliquant des conséquences dans l'État.
2. Un comportement dans l'État provoque des conséquences en dehors de l'État.
3. Un comportement hors de l'État affectant l'« intérêt légitime » d'un État.
2. Le problème du pouvoir d’exécution
Si le Texas a toute latitude pour criminaliser la prescription de pilules abortives, il demeure nécessaire de distinguer juridiction et pouvoir d’exécution, lequel reste presque entièrement confiné à l'intérieur du territoire d'un État.
En effet, note Darryl Brown, « [à] moins que des accords interétatiques n'en disposent autrement, les agents de police d'un État ne sont pas légalement autorisés à arrêter des suspects ou à rechercher des preuves sur le territoire d'autres États. » La tâche, en conséquence, devient extrêmement compliqué pour le Texas, qui ne pourra pas compter sur la coopération de l’État de New York. L’État de Greg Abbott ne pourra pas non plus s’attendre à une extradition — laquelle découle de l'Art. IV, Section 2, Clause 2 de la Constitution. Comme le souligne l'auteur, « cette obligation ne s'applique pas à toute personne accusée d'un crime d'État ; elle ne concerne que ceux qui "fuient la justice". » En l'occurrence, dans cette affaire opposant le Texas à la médecin de New York, cette dernière n'est pas « une fugitive ». Si les États ont généralement prévu les conditions dans lesquelles ils peuvent consentir à l'extradition d'une personne qui n'est pas fugitive, le professeur Brown rappelle que « les lois sur l'extradition des États n'obligent pas les fonctionnaires de l'État à accéder aux demandes d'autres États visant à extrader un non fugitif. La décision d'accéder ou non à la demande d'un autre État relève du pouvoir discrétionnaire du gouverneur ; les tribunaux des États n'ont que peu de raisons d'entraver les décisions d'extradition de l'exécutif. » Un point qui fait dire à l'auteur que « [c]ompte tenu de l'importance politique de l'avortement, il ne serait guère surprenant de voir un gouverneur d'un État qui protège les services d'avortement refuser d'extrader un résident non fugitif accusé d'un délit lié à l'avortement dans un autre État. »
Darryl Brown ne donne pas de réponse définitive à la question qui entoure l'affaire texane. Sa conclusion note néanmoins que : « Si certains États utilisent la compétence extraterritoriale de manière agressive et “offensive” pour étendre leurs politiques anti-avortement aux États qui protègent l'avortement, il semble inévitable que d'autres États réagissent en supprimant la courtoisie en matière d'extradition et d'assignation de témoins, et que la Cour suprême soit obligée de développer de manière beaucoup plus approfondie les limites constitutionnelles de la compétence extraterritoriale de l'État. Compte tenu de l'opinion des juges actuels sur l'avortement, on peut raisonnablement craindre que les litiges relatifs aux lois sur l'avortement ne constituent un contexte loin d'être idéal pour affiner les doctrines constitutionnelles sur la compétence extraterritoriale. »
En attendant d’en savoir plus, je vous souhaite de passer une très belle année 2025 (qui promet d’ores et déjà d’être riche sur le volet judiciaire !) 🥳