Le juge Clarence Thomas peut-il être destitué ?
Le très conservateur juge de la Cour suprême est au cœur d’une polémique en raison de l’implication de son épouse dans les événements du 6…
Le très conservateur juge de la Cour suprême est au cœur d’une polémique en raison de l’implication de son épouse dans les événements du 6 janvier. Le magistrat ne s’est pas récusé s’agissant des affaires qui y sont liées.

Connu pour sa foi catholique inébranlable et ses opinions conservatrices, le second juge africain-américain de la Cour suprême est actuellement au milieu d’une tempête médiatique après les révélations entourant son épouse Virginia « Ginni » Thomas, laquelle a échangé de nombreux messages avec le chef de cabinet de la Maison Blanche Mark Meadows durant les événements du 6 janvier. Le 19 janvier dernier, la Cour suprême refusait de faire obstacle à la divulgation des archives du président sortant relatives aux émeutes du Capitole. Une décision prise à 8 juges contre 1. Le seul « dissident » n’était autre que Clarence Thomas. Un hasard pour le moins troublant.
Face à ces révélations, l’élue démocrate Ilhan Omar, l’une des figures du « Squad », fut la première à appeler à la destitution. Bien qu’à l’heure où ces lignes sont écrites, aucune procédure d’impeachment n’a été officiellement annoncée, la proposition fait des émules et l’Amérique commence à s’interroger sur la possibilité de destituer le juge nommé à la juridiction suprême en 1991. Le magistrat peut-il faire l’objet d’une procédure de destitution ? La réponse est oui.
Manquement à une obligation légale
Peu de contraintes pèsent sur les juges de la Cour suprême des États-Unis. Cependant, les 9 sages ont l’obligation de se récuser dans certains cas spécifiques et lorsque leur « l’impartialité peut raisonnablement être mise en doute ». Cette obligation légale, inscrite au paragraphe 455 du Titre 28 de l’U.S. Code, ne prévoit cependant aucune sanction en cas de manquement.
Toutefois, même si le juge ne peut faire l’objet d’une sanction légale, il peut toujours faire l’objet d’une procédure de destitution (impeachment) puisqu’il s’agit d’un acte authentiquement politique.
L’impeachment, procédure aux mains du Congrès
Revenue sur le devant de la scène en 2019 et en 2021 avec les deux impeachments de Donald Trump, la procédure de destitution, s’agissant d’un juge, demeure identique : elle est prévue par la Constitution des États-Unis en cas de « trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs ». Quelle est la nature des « crimes et délits majeurs » ? La question reste sujette à débats. Une piste existe dans les Federalist Papers, essais écrits par Alexander Hamilton, John Jay et James Madison pour promouvoir la Constitution fédérale. Dans le n° 65, Hamilton évoque « les infractions qui découlent de la mauvaise conduite des hommes publics, ou, en d’autres termes, de l’abus ou de la violation d’une confiance publique ». Le juge Thomas s’est-il rendu coupable d’une infraction découlant d’une mauvaise conduite ? C’est au pouvoir législatif qu’il revient de trancher. En effet, la particularité de la procédure d’impeachment est qu’elle repose intégralement dans les mains du Congrès : la Chambre des Représentants rédige et vote à la majorité simple les articles de mise en accusation tandis que le Sénat se réunit en Haute Cour pour voter la destitution à la majorité des deux-tiers.
« La base des articles d’impeachment peut être n’importe quoi car il s’agit d’une mise en accusation politique et non juridique. Ainsi, le défaut de récusation en tant que violation de la loi ou un manque d’éthique général en tant qu’abus de pouvoir peuvent tous deux servir de base à une enquête de mise en accusation. Les infractions susceptibles d’être mises en accusation sont celles que la Chambre des représentants considère — la véritable question est de savoir si le Sénat accepte de condamner et de destituer une personne pour toute infraction reprochée »
— Anthony Michael Kreis, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’État de Géorgie
Les démocrates disposant de la majorité à la Chambre basse, les articles de mise en accusation pourraient par conséquent être votés et ce sans aucune interférence du pouvoir judiciaire. La Cour suprême, dans la décision Nixon v. United States de 1993, a rappelé que l’impeachment est considéré comme le seul contrôle des pouvoirs judiciaires par le législateur et qu’il serait donc inapproprié pour les tribunaux d’examiner une question qui y est liée.
L’inertie démocrate
Cela va sans dire, au vu de la configuration actuelle du Sénat, la destitution du juge Thomas n’a selon toute vraisemblance pas l’ombre d’une chance. La Chambre des Représentants a néanmoins toute latitude pour lancer la procédure et envoyer un signal politique fort. Toutefois, les tergiversations actuelles ne semblent pas aller dans ce sens, en témoigne les propos de Nancy Pelosi, Speaker de la chambre basse : interrogée sur un appel à la démission à l’endroit du juge Thomas, l’élue démocrate a préféré la punchline en déclarant qu’il n’aurait jamais dû être nommé avant de digresser sur un éventuel code d’éthique pour les juges de la Cour suprême. Dans le même temps, du côté républicain, les articles de mises en accusation ne manquent pas : au lendemain même de l’inauguration du président Biden, l’inénarrable représentante de Géorgie Marjorie Taylor Greene avait introduit un article de mise en accusation. Quant à Matt Gaetz, élu à la Chambre pour l’État de Floride, il propose tout simplement de nommer l’ancien président Donald Trump comme Speaker après l’élection de novembre, puis de destituer Joe Biden et Kamala Harris de manière à rendre la Maison Blanche au 45e président, puisqu’il serait alors, en vertu du Presidential Succession Act, premier sur la ligne de succession.
On ne peut qu’en conclure que si juge nommé par un président démocrate s’était retrouvé dans une situation similaire, les articles de mise en accusation n’auraient pas fait l’objet d’autant d’atermoiements. La majorité démocrate souffre d’une pusillanimité que le Parti républicain ne connaît point. Alors que se profilent les élections de mi-mandat et que l’actuel président fait face à une cote de popularité en berne, il devient urgent pour le parti au pouvoir de remobiliser son électorat : s’il s’empare du Congrès, le Grand Old Party ne fera pas dans le dialogue et le consensus.