Donald Trump prépare sa Cour suprême
Le candidat républicain communiquera prochainement sa shortlist. En cas de victoire en novembre, ses choix pourraient influencer l'orientation de la Cour pour les prochaines décennies.
Non, rien de rien. Non, il ne regrette rien. Chez CBS News, le candidat républicain Donald Trump est revenu sur le revirement de jurisprudence intervenu le 24 juin 2022. Pour l’homme d’affaires, il n’y a pas lieu de regretter Roe v. Wade. Selon ses dires, tout le monde se satisfait que chaque État puisse démocratiquement décider de la licéïté de l’avortement. De même, il se félicite presque d’avoir nommé trois juges qui ont permis de revenir sur cet arrêt aussi historique que controversé. S’il est vrai que les nominations du président Trump ont permis de mettre un terme au paradigme créé par Roe puis Casey, un retour du républicain à la Maison-Blanche pourrait être lourd de conséquences pour la plus haute juridiction fédérale, laquelle serait susceptible durant les quatre années à venir de connaître de nouveaux bouleversements dans sa composition.
Une Cour qui n’est pas suffisamment à son image
Le 15 juillet, le célèbre magazine The New Yorker a révélé une Une pour le moins caustique : illustrant les neuf juges qui composent la plus haute juridiction des États-Unis, l’œuvre de la dessinatrice Anita Kunz présente six juges Donald Trump, une manière de souligner une certaine soumission des juges « conservateurs » à l’ex-président. Pourtant, ce dernier est en vérité plutôt insatisfait des trois juges qu’il a pu nommer : si Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett ont été des pièces maitresses dans certains cas — notamment pour renverser l’historique arrêt Roe v. Wade sur le droit à l’avortement —, le trio ne lui est pas suffisamment fidèle, ce qui n’a pas manqué de provoquer son ire à certaines reprises, dénonçant un « organe politique » qui a perdu « son honneur et son prestige ».
Un constat partagé par le New York Times, qui a récemment publié des statistiques peu flatteuses pour l’administration Trump, qui est celle qui a le moins gagné devant la haute Cour. Trump connait ainsi les mêmes déboires que certains de ses prédécesseurs, qui ont amèrement regretté certaines de leurs nominations : Eisenhower s’est maudit d’avoir nommé les très progressistes juges Warren et Brennan, JFK aurait probablement grimacé en observant le bilan plutôt conservateur du juge White, Nixon a commis l’erreur de nommer le juge Blackmun, Reagan n'aurait sans doute pas approuvé toutes les opinions du juge Kennedy et Bush père a eu le sentiment d’une erreur de casting avec le juge Souter. Loin d’avoir une Cour a son image, Donald Trump doit davantage compter sur les juges Thomas et Alito que sur les « siens ».
Si l’on regarde de plus près le pedigree des juges « Trump », les juges Gorsuch, Kavanaugh et Barrett ne sont pas de la même trempe que Thomas et Alito. Cela est particulièrement vrai s’agissant des deux derniers, qui se joignent parfois aux trois juges « progressistes » que sont les juges Sotomayor, Kagan et Jackson. Le retour aux responsabilités de l’ancien président lui offrait peut-être l’opportunité de marquer encore plus durablement l’institution en s’astreignant à choisir des juges marqués par l’influence des Justices Thomas et Alito.
Le défi du remplacement des juges Thomas et Alito
S’ils sont ceux qui semblent le plus en phase avec Donald Trump, ce sont aussi ceux qui sont en passe de quitter la Cour. Les juges Thomas et Alito sont en effet plutôt âgés, ayant respectivement 76 et 74 ans. Une nouvelle présidence républicaine, si elle s’accompagnait d’une majorité « rouge » au Sénat, donnerait la possibilité aux deux juges de quitter la Cour et d’être remplacés par Donald Trump.
Vindicatif, l’occupant de la Maison-Blanche aurait alors à cœur de choisir des juges du même acabit, nettement plus « à droite » que les précédents. Sans délivrer une liste aussi exhaustive que Fox News, il est intéressant de s’attarder sur certains profils susceptibles de composer la liste à venir. Les juges du 5e Circuit d’Appel, réputé le plus conservateur du pays, pourraient ainsi être parmi les candidats les plus en vue. Le profil du juge James Ho apparaît comme particulièrement compatible : nommé par l’ex-président en 2018, déjà envisagé en 2020 pour remplacer la juge Ginsburg, le magistrat de 51 ans, natif de Taiwan, deviendrait le premier juge d’origine asiatique à rejoindre la Cour suprême. Membre de la Federalist Society, lobby conservateur particulièrement influent, Ho n’a pas suivi la voie universitaire royale mais fut assistant (law clerk) du juge Clarence Thomas et peut s’enorgueillir d’un bilan compatible avec le programme « Make America Great Again » sur nombre de points, notamment l’avortement.
Toujours au sein du 5e Circuit, Andrew Oldham peut prétendre à être un candidat sérieux. Passé par la Harvard Law School, au sein de laquelle il a été éditeur du Harvard Journal of Law and Public Policy, le magistrat de 46 ans a été law clerk du juge Alito et compte depuis plus de vingt ans parmi les membres de la Federalist Society.
Plus singulière, Kathryn Anne Kimball Mizelle, bientôt 37 ans, pourrait être une nomination de choix en fin de mandat. Nommée en cour de district par l’ancien président, Mizelle est, à l’instar du juge Ho, membre de la Federalist Society et ex-law clerk du juge Thomas. Si elle n’a pas non plus suivi la voie universitaire idéale — Harvard, Yale ou Columbia —, son parcours scolaire se distingue par un sans-faute, ayant été diplômée summa cum laude du Covenant College puis de l’Université de Floride. Une expérience de quelques années en cour d’appel pourrait lui permettre d’acquérir une expérience justifiant une nomination à la Cour suprême… Et une influence durant plusieurs décennies, car son âge lui permet de se distinguer de profils tels que Barbara Lagoa (56 ans), Neomi Rao (51 ans) ou encore de Sarah Pitlyk (47 ans), magistrate au fort pedigree anti-avortement mais jugée particulièrement inexpérimentée par l’association du barreau américain (ABA) — ce qui n’a pas empêchée l’intéressée d’être sur la shortlist en 2020 —. À l’inverse, tout en soulignant le manque d’expérience de K. A. Kimball Mizelle, l’ABA reconnaissait chez la candidate « une grande intelligence, une solide éthique de travail et un curriculum vitae impressionnant. » Trump pourrait néanmoins choisir la facilité en se fiant à sa précédente shortlist et choisir par exemple Allison Jones Rushing, 42 ans, ex-law clerk du juge Thomas. Nommée en 2019 à la Cour d’Appel pour le 4e Circuit, elle était déjà en lice pour remplacer Ruth Bader Ginsburg il y a quatre ans.
La santé préoccupante de la juge Sotomayor
Côté démocrate, la juge Sonia Sotomayor demeure au cœur des préoccupations des démocrates. La magistrate nommée par le président Obama en 2009 est aujourd’hui âgée de 70 ans et souffre d’un diabète de type 1, lequel exerce une influence notable sur l’espérance de vie. Quatre ans de présidence républicaine représentent par conséquent un risque non négligeable : tout déclin de sa santé pourrait l’amener à quitter à la Cour et provoquer un nouvel étiolement de l’aile « progressiste ». À 7 contre 2, l’équilibre de la Cour s’exercerait encore plus durablement en faveur du Parti républicain. Une inquiétude qui a provoqué de récents appels à démissionner, lesquels n’ont nullement été entendus par l'intéressée, qui entend continuer à siéger pour l’instant.
Outre les sièges qu’il lui conviendra de remplir au sein des cours inférieures — et qui ont également une grande influence, en témoignent les juges Kacsmaryk au Texas et Cannon en Floride —, Trump pourrait, en nommant au total cinq juges à la Cour suprême, léguer un héritage considérable et particulièrement durable. Quatre années de présidence sont finalement bien peu au regard du siège à vie dont bénéficient les juges fédéraux…