Décès d'Amber Thurman : législation fautive ou négligence médicale ?
Une contre-analyse de l'article de ProPublica.
L’article a fait le tour du monde : le 16 septembre, le média ProPublica évoque le décès tragique d’Amber Thurman, une jeune femme de 28 ans. L’événement remonte à 2022. La jeune maman apprend durant l’été qu’elle est enceinte de jumeaux. Conséquence du renversement de l’arrêt Roe v. Wade, la Géorgie a, peu de temps auparavant, limité drastiquement la durée légale pour avorter. Amber Thurman est enceinte de neuf semaines, alors que l’État dont elle est la résidente l’interdit désormais au-delà de six.
Elle se rend alors en Caroline du Nord, où on lui prescrit le traitement médicamenteux usuel : mifépristone et misoprostol. C’est ici que l’histoire bascule : Amber Thurman est victime de complications graves. Le Piedmont Henry Hospital, situé à Stockbridge, repousse la réalisation d’une procédure appelée dilatation et curetage (D&C). Traitée beaucoup trop tardivement, Amber Thurman décède sur la table d’opération.
ProPublica accuse la législation
Pour ProPublica, c’est la législation de Géorgie qui est en faute (“the law only specifies it’s not considered an abortion to remove ‘a dead unborn child’ that resulted from a ‘spontaneous abortion’ defined as ‘naturally occurring’ from a miscarriage or a stillbirth. . . . There is also an exception, included in most bans, to allow abortions ‘necessary in order to prevent the death of the pregnant woman or the substantial and irreversible physical impairment of a major bodily function.’ There is no standard protocol for how providers should interpret such language, doctors said.”). Le média note ainsi que la D&C a été rendue illégale peu de temps après l’arrêt Dobbs, qui a renversé l’arrêt Roe.
Le média commet ici une erreur (erreur hélas reprise par l’AFP). D’une part, la D&C n’est pas illégale. Aucun texte législatif en Géorgie ne mentionne le terme “dilation”, pas plus que l'article GA Code 16-12-141 (relatif à l’avortement) ne précise les procédures autorisées (ainsi, l’Abortion Defense Network affirme que la D&C est bien légale). D’autre part, l’article se contredit lui-même, soulignant qu’Amber Thurman a bien reçu une D&C (“The OB performed the D&C”), hélas beaucoup trop tardivement.
La législation aurait-elle pu cependant pousser le corps médical à attendre que l’état d’Amber Thurman se détériore ? Là encore, c’est assez peu probable.
Que dit la législation ?
Revenons sur les propos mentionnés supra : l’article de ProPublica précise que s’agissant des risques vitaux, il n’y a pas de standard. Il n’est cependant pas nécessaire de s’attarder sur ce point ici. L’avortement a déjà eu lieu lorsque Amber Thurman a été admise à l’hôpital (rappelons que la mifépristone a pour but de stopper la production de progestérone — et donc de mettre fin à la grossesse, tandis que le misoprostol entraîne des contractions et un relâchement du col utérin, permettant d’expulser l’embryon). La loi de Géorgie est une heartbeat law. Or, il n’y avait aucune activité cardiaque au moment où Amber Thurman a eu besoin d’une intervention médicale. Par conséquent, la D&C, nécessaire à l’évacuation des « produits de conception retenus » (comme mentionné sur le certificat de décès), n’aurait à aucun moment pu être considérée comme un avortement tel que défini dans la loi :
“Abortion” means the act of using, prescribing, or administering any instrument, substance, device, or other means with the purpose to terminate a pregnancy with knowledge that termination will, with reasonable likelihood, cause the death of an unborn child; provided, however, that any such act shall not be considered an abortion if the act is performed with the purpose of . . . — GA Code 16-12-141
Si ProPublica met l’accent sur le caractère « ambigu » de certaines législations, elle paraît ici plutôt claire : l’opération n’ayant pas pour conséquence de mettre un terme à la vie d’un “unborn child”, il ne saurait s’agir d’un avortement. Par ailleurs, le média américain souligne qu’aucun médecin interrogé n’a daigné expliqué les raisons de cette prise en charge tardive (“Doctors and a nurse involved in Thurman’s care declined to explain their thinking and did not respond to questions from ProPublica.”). Quant au rapport publié par le maternal mortality review committee, ce dernier affirme qu’une D&C réalisée plus tôt aurait probablement pu éviter la mort à Amber Thurman. Là encore, l’effet dissuasif de la législation n’est pas abordé. (“There is a “good chance” providing a D&C earlier could have prevented Amber Thurman’s death, the maternal mortality review committee concluded.”)
Certes : la législation de Géorgie compte parmi les plus restrictives du pays. Certes, ladite législation a probablement un effet dissuasif délétère dans certaines situations. Cependant, ici, il semblerait que le décès tragique d’Amber Thurman soit davantage lié à une scandaleuse négligence médicale.