Archives de la Maison-Blanche : non, Trump ne sera pas inéligible
Question de hiérarchie des normes…
Question de hiérarchie des normes…
Archives de la Maison-Blanche : non, Trump ne sera pas inéligible
Perquisitionné en raison de soupçons sur la présence de documents confidentiels dans sa résidence de Mar-A-Lago, l’ex-président Trump ne sera pas jugé inéligible, quoi qu’en dise la loi.
L’information s’est répandue comme une traînée de poudre tant dans les médias anglophones que français : l’ex-président Donald J. Trump, potentiel candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024, pourrait être condamné à l’inéligibilité s’il venait à être jugé pour avoir emporté (et détruit) des documents confidentiels officiels.
Si la loi en question (18 U.S. Code § 2071) prévoit bien une disqualification (« […] sera déchu de sa charge et disqualifié pour occuper toute fonction relevant de l’autorité des États-Unis »), elle ne saurait empêcher quiconque de se présenter à une élection au Congrès ou à la (vice-)présidence des États-Unis.
Le précédent Hillary Clinton
Revenons en 2015. Hillary Clinton, candidate démocrate à l’élection présidentielle, se retrouve au cœur d’une vive polémique après que l’on eut appris qu’elle avait utilisé un serveur de messagerie privé dans le cadre de ses fonctions comme secrétaire d’État : ce serveur avait conservé par ailleurs de nombreux emails classifiés « Secret » et « Top Secret ». L’ancien juge et procureur général des États-Unis Michael B. Mukasey avait alors affirmé sur le plateau de l’émission Morning Joe de MSNBC que la candidate pourrait se voir barrer la route de la présidence des États-Unis en raison des dispositions légales prévues à l’article 2071 du Titre 18 du Code des États-Unis.
Dans un article publié la même année, le professeur de droit Seth Barrett Tillman contredit nettement l’ex-procureur général : pour l’universitaire, ni l’article 2071 ni aucune autre loi fédérale « crée ou pourrait créer une disqualification à l’égard de tout poste fédéral élu, y compris la présidence [des États-Unis] » et ce pour une raison pour le moins triviale, à savoir le respect de la hiérarchie des normes. Eugene Volokh, professeur de droit à l’université de Los Angeles, avait évoqué les mêmes arguments dans les colonnes du Washington Post : Michael Mukasey avait finalement adressé un email au professeur Volokh pour admettre que la démonstration de Seth Barrett Tillman est la bonne.
En effet, s’agissant du Congrès comme de la présidence, les critères d’éligibilité sont fixés par la Constitution, respectivement à l’article I et à l’article II. De même, la clause d’inéligibilité et la clause d’impeachment sont également inscrites dans la Constitution. Cette dernière, désormais bien connue puisque l’ex-président Trump a subi deux procédures d’impeachment, permet non seulement de destituer mais également de rendre inéligible comme l’ont souligné les juristes Jared P. Cole and Todd Garvey dans une note rédigée pour le Congressional Research Service. Par conséquent, une loi fédérale ne saurait supplanter la primauté des dispositions expresses de la Constitution.
Le poids des précédents judiciaires
Le professeur Tillman, appuyé par le professeur de droit constitutionnel Josh Blackman dans Reason, a rappelé le poids considérable des précédents judiciaires : les deux juristes soulignent que les arrêts Powell v. McCormack et U.S. Term Limits v. Thorton indiquent clairement que la Constitution interdit aux États d’imposer des qualifications congressionnelles supplémentaires à celles spécifiquement énumérées dans son texte. Cette conclusion, qui concerne l’article I de la Constitution relatif au Congrès, a été appliquée par des cours de district à l’article II — qui concerne le pouvoir exécutif — . Ainsi, dans l’affaire United States v. Caron (1996), la cour de district du Massachusetts avait abouti à la conclusion que « [l]a Constitution est la seule source d’éligibilité au poste de Président des États-Unis et elle n’exclut pas les criminels », conclusion renforcée par un précédent majeur : en 1920, le socialiste Eugene V. Debs avait été candidat à l’élection présidentielle depuis sa cellule de prison. L’homme, condamné en vertu de l’Espionage Act de 1917 consécutivement à son discours anti-guerre prononcé en 1918 à Canton, Ohio, avait reçu plus d’un million de voix en sa faveur.
Outre les précédents judiciaires, l’Histoire va également dans le sens du professeur Tillman : dans les Débats sur l’adoption de la Constitution à la Convention tenue à Philadelphie en 1787, le père fondateur James Madison plaidait également pour des conditions d’(in)éligiblité fixées par la seule Constitution : « Les qualifications des électeurs et des élus sont des articles fondamentaux dans un gouvernement républicain, et devraient être fixées par la Constitution. Si la législature peut réglementer celles de l’un ou de l’autre, elle peut par degrés subvertir la Constitution. Une république peut être transformée en aristocratie ou en oligarchie, aussi bien en limitant le nombre de personnes capables d’être élues que le nombre de personnes autorisées à élire ». Dans le Federalist №60, c’est un autre Founding Father, Alexander Hamilton, qui abonde : « Les qualifications des personnes qui peuvent choisir ou être choisies, comme cela a été remarqué en d’autres occasions, sont définies et fixées dans la Constitution, et sont inaltérables par la législature ». Enfin, dans ses célèbres Commentaires sur la Constitution des États-Unis, le juge Joseph Story note que « [L]orsque la Constitution a établi certaines qualifications comme étant nécessaires à l’exercice d’une fonction, elle a voulu exclure toutes les autres comme étant des conditions préalables. Du fait de la nature même d’une telle disposition, l’affirmation de ces qualifications semble impliquer la négation de toutes les autres ». La démonstration du juge Story renvoie à un « canon d’interprétation » bien connu des juristes sous son nom latin : expressio unius est exclusio alterius.
Trump est toujours dans la course
Le 45e président, toujours grand favori du Parti républicain pour l’élection présidentielle si l’on en croit le sondage réalisé durant la CPAC, ne saurait donc être disqualifié s’il venait à être mis en examen et condamné pour avoir subtiliser (et/ou détruit) des documents officiels. Également inquiété pour son rôle dans les événements du 6 janvier 2021, Donald J. Trump pourrait en revanche être déclaré inéligible s’il venait à être reconnu coupable d’insurrection ou de rébellion : une possibilité prévue par la Section 3 du 14e amendement.