À propos de l’affaire Cruz v. Arizona
L’opinion dissidente de Justice Amy Coney Barrett mérite que l’on s’y attarde…
L’opinion dissidente de Justice Amy Coney Barrett mérite que l’on s’y attarde…

Le 22 février dernier, la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision favorable à un individu condamné à mort dans l’État d’Arizona. L’opinion majoritaire, rédigée par Justice Sonia Sotomayor, fut rejointe par le Chief Justice John G. Roberts et Justice Kavanaugh, “swing Justices” notoires.
En 2005, John Montenegro Cruz est condamné à la peine de mort après avoir été reconnu coupable du meurtre d’un officier de police. En première instance comme en appel, M. Cruz a souhaité que le jury soit informé de l’impossibilité de libération sur parole s’il venait à être condamné à une peine de prison à perpétuité. Cela lui a été refusé, la cour de première instance comme la Cour suprême d’Arizona estimant que l’arrêt Simmons v. South Carolina (1994) ne s’applique pas en Arizona.
En 2016, la Cour suprême des États-Unis rend un “summary reversal” dans l’affaire Lynch v. Arizona — « on parle de “SumRev” lorsque la Cour suprême, d’un seul coup, fait droit à une demande de writ of certiorari, annule/renverse le jugement de la juridiction inférieure et renvoie l’affaire pour une nouvelle procédure. Un SumRev est décidé sans le bénéfice d’une argumentation orale, et l’opinion majoritaire est généralement signée per curiam » comme l’indique le professeur Josh Blackman — et affirme que l’arrêt Simmons s’applique dans l’État d’Arizona, renversant ainsi de multiples précédents de la Cour suprême du Grand Canyon State.

Lynch permet à M. Cruz d‘émettre une requête pour “post-conviction relief”. En effet, une disposition du code de procédure pénale en Arizona (Ariz. R. Crim. P. 32.1(g)) prévoit la possibilité pour une personne condamnée de demander un redressement post-condamnation en cas de « changement significatif dans le droit qui, s’il était applicable au cas du défendeur, annulerait probablement le jugement ou la sentence du défendeur ». La Cour suprême de l’Arizona a refusé d’accorder cette “post-conviction relief” après avoir conclu que Lynch ne constituait pas « un changement significatif dans le droit ».
La Cour suprême des États-Unis, à travers l’opinion majoritaire de la juge Sotomayor, a infirmé la décision de la Cour suprême d’Arizona. La plus haute juridiction fédérale a considéré qu’il s’agissait d’un « cas exceptionnel où un jugement d’une cour d’État repose sur une interprétation tellement nouvelle et imprévisible d’une règle de procédure » qui ne constituait pas un fondement approprié pour empêcher l’examen par cette Cour d’une question fédérale.
Pour Justice Sotomayor, la Cour suprême d’Arizona était dans l’erreur en affirmant que Lynch ne constituait pas un « changement significatif », puisqu’elle avait elle-même affirmé en 2009 que la Cour suprême de l’Arizona avait précédemment expliqué que « “l’archétype” d’un “changement significatif du droit” est l’annulation d’une “jurisprudence précédemment contraignante” » (State v. Shrum). En réponse à l’opinion dissidente de la juge Barrett, la juge Sotomayor affirme en outre que « [l]e fait que la Cour suprême de l’Arizona n’avait jamais auparavant appliqué la Rule 32.1(g) à un summary reversal ne présentait pas un contexte nouveau en l’espèce ».
À l’inverse, pour la dissidence s’exprimant à travers l’opinion de Justice Amy Coney Barrett, Lynch ne représente pas « un “événement transformateur”, une “rupture nette avec le passé” » (State v. Shrum, citant State v. Slemmer) puisque Lynch n’a fait que clarifier l’application (je souligne) du droit en réaffirmant le précédent Simmons. Ainsi, affirme Justice Barrett, Lynch « n’a pas changé le droit en Arizona ».
Surtout, pour la juge, sa Cour ne saurait se livrer à un interprétation du droit étatique sur les questions indépendantes du droit fédéral. En cela, elle rappelle l’arrêt Murdock de 1875 dans lequel la Cour s’est déclarée incompétente pour examiner l’interprétation du droit étatique par une Cour suprême d’État. En outre, la juge ne considère pas, contrairement à la juge Sotomayor, que la Cour suprême d’Arizona a contredit ses précedentes interprétations de la Rule 32.1(g). « Au contraire, affirme-t-elle, elle a été confrontée à une nouvelle question et a donné une réponse raisonnablement cohérente avec son précédent ». Citant, entre autres, l’arrêt State v. Bigger (2021), elle rappelle qu’une affirmation de jurisprudence ne constitue par pour la Cour suprême de l’Arizona « une rupture nette avec la passé » au sens de Shrum — l’arrêt Bigger affirme en effet que « [l’arrêt] Perry a confirmé la jurisprudence de la Cour suprême et n’a pas rompu clairement avec le passé », mais il affirme également que l’un des critères de Shrum est le renversement de précédents établis —.
Citant Ring v. Arizona (2002), mentionnée dans Shrum, la juge Barrett aborde le principe central de son argumentation : ce qui constitue un « changement significatif » est une modification de la doctrine juridique et non une application erronée de ladite doctrine. Ce faisant, elle affirme qu’il est erroné de voir dans Lynch un « changement significatif ».
Pour finir, la conclusion dressée par Justice Barrett est particulièrement intéressante : admettant que la Cour suprême d’Arizona a eu tort de refuser l’application de Simmons/Lynch à M. Cruz, elle estime néanmoins qu’il n’appartient pas à sa Cour de se substituer à l’interprétation — certes erronée — de cette dernière : « La Cour explique pourquoi l’interprétation par la Cour suprême de l’Arizona de son propre précédent est erronée. Si je faisais partie de la Cour suprême d’Arizona, je pourrais être d’accord. Mais cette décision ne relève pas de notre compétence. Notre travail consiste à déterminer si la décision de la Cour suprême de l’Arizona est défendable, et nous devons faire preuve de la plus grande déférence à l’égard de la cour d’État pour rendre ce jugement. Les cas d’inadéquation sont extrêmement rares, et celui-ci n’en est pas un ». En filigrane, on retrouve en substance l’opinion dissidente de Justice Scalia dans Montgomery v. Louisiana : “The Court has no jurisdiction to decide this case”.